jeudi 23 mars 2017

L’HÉRITAGE APOSTOLIQUE DU PÈRE VINCENT MACHOZI : L’ASUMA-USUMA S’EN SOUVIENT !

Trois jours après la commémoration du premier anniversaire de l’assassinat du Père Vincent Machozi, l’ASUMA-USUMA [Association des Supérieur(e)s Majeur(e)s] s’est mobilisée comme un seul homme pour célébrer les prévenances de Dieu pour son Église à travers le témoignage de vie d’un prophète de notre temps : Vincent Machozi ne mourra jamais ! C’est notre devoir de mémoire !




Dans cette dynamique, le Père Provincial des Augustins de l’Assomption, Protais Kabila Kalondo, n’a ménagé d’aucun effort pour restituer et rendre compte des intuitions fondamentales du Père Vincent Machozi, telles que dépeintes dans son entretien avec les membres du Conseil de Province Assomptionniste d’Afrique : Quel type d’apostolat Assomptionniste dans un Congo en faillite ?

Chers frères, membres du Conseil de Province de la Province d’Afrique, l’honneur m’échoit de partager avec vous une réflexion sur  ce que peut être notre apostolat assomptionniste dans un Congo en faillite (a failed state). Je sais que, d’après notre Règle de Vie  # 93,  le Conseil de Province « a un rôle consultatif » et un pouvoir de décision en certaines matières de la vie économique de la Province.  Avec votre statut de consultants ou d’experts du Provincial, vous avez l’obligation de vous informer et de vous spécialiser en plusieurs domaines de la vie, y compris la vie sociopolitique de notre pays. Ceci vous permet d’être fidèles à l’Esprit du chapitre général de 2011 qui demande au Conseil de chaque Province de vérifier régulièrement « si les œuvres éducatives, paroissiales, et de communication servent la promotion intégrale de l’homme et le développement.[1] »
C’est ainsi que notre réflexion partira des quelques constats assez troublants en rapport avec la situation sociopolitique de notre pays  en faillite avant de proposer quelques voies et moyens par lesquels les œuvres apostoliques de la Province d’Afrique (Paroisses, Ecoles secondaires et Universitaires, Maisons de formation,  Radio Moto,  Plantations, etc.) peuvent participer à la renaissance de la R.D.Congo et pourquoi pas de l’Afrique.

Point de départ de la réflexion : Le contraste entre la vie sociale et la vie ecclésiale en R.D. Congo
Constats troublants : 

1.       Parlant de l’Afrique, le théologien Jesse Mugambi  s’interroge : « Comment expliquer que le continent dit le plus religieux de tous soit aussi le plus pauvre?[2] ». Appliquant l’interrogation de Mugambi sur la  R.D.Congo, nous nous interrogeons aussi : Comment expliquer que la R.D.Congo, le pays le plus chrétien et le plus catholique d’Afrique soit aussi le plus pauvre sur tous les plans, le plus dominé par des puissances et des lobbies extérieures, et le pays où la perspective d’une libération du peuple par lui-même paraît  utopique 55 ans après son accession à l’indépendance politique ?
2.       Partant de la description du Continent Africain par John Mbiti comme « notoirement religieux », le théologien sud-africain Tinyiko Sam Maluleke se demande, à juste titre, si la religiosité de l’Afrique ne fait pas partie du Problème africain au lieu d’être partie prenante de la solution. « Où est la main de Dieu dans l’histoire de l’Afrique ? » poursuit Maluleke.
3.       Comment expliquer que l’assomption congolaise qui fait passer ses membres par un minimum de 10 ans d’études supérieures avant d’entrer dans la vie apostolique active   dépende de l’aide extérieure dans une société (celle de Beni-Lubero par exemple) qui compte des milliardaires qui n’ont fait que l’école primaire pour la plupart ? Les assomptionnistes congolais reçoivent-ils une formation adaptée à leur pays en faillite ? Ne reçoivent-ils pas une formation calquée sur l’Occident où l’Etat n’est pas en faillite car remplissant encore la plupart de ses devoirs régaliens envers ses citoyens?


 Vie Sociale, économique, et politique de la R.D.Congo :

-          La R.D.Congo se dit depuis 1960 un pays indépendant, une république démocratique engagée dans la révolution de la modernité mais où plusieurs grandes puissances font la loi dans tous les domaines y compris ceux liés à la souveraineté de l’Etat, à savoir, le choix des leaders, le financement et le contrôle des élections, du recensement des citoyens, de la défense de l’intégrité nationale, etc.), un pays où les droits et les libertés fondamentales des citoyens sont bâillonnés (liberté d’opinion, liberté d’expression, etc.)  au point que les analystes politiques classent la R.D. Congo parmi les pays en faillite.
-          Depuis 1996, la R.D.Congo est le théâtre des massacres des populations civiles par des milices, rebellions et armées de la Région des Grands Lacs Africains et dont le bilan s’élève d’après International Rescue Committee, Human Rights Watch, Global Transparency, à près de 10 millions des tués dont plus de 6 millions dans les seules provinces de l’Est de la R.D.Congo où l’on trouve des minerais stratégiques du troisième millénaire (Coltan, cassitérite, tungstène, or, pétrole, etc.) très convoités par diverses lobbies et multinationales.
-          Aux millions des congolais tués, il faut ajouter des millions des déplacés, des milliers des disparus (dont nos trois pères assomtionnistes), des millions des veuves et orphelins laissés pour compte, etc.
-          La Menace du SIDA dans les grandes villes est  inquiétante selon les experts de la santé. 
-          Le taux de pauvreté est inquiétant : Avec un salaire journalier de moins d’1US$ (9200 FC) par jour, le congolais vit en dessous du seuil de pauvreté.
-          La R.D.Congo bat aussi le record des enfants mal nourris avec ce que cela comporte comme maladies mortelles (Kwashiorkor, malaria, etc.). Plus de la moitié des congolais vivent d’un seul repas maigre par jour. La R.D.Congo parait ainsi comme un vaste empire de la faim, des malades, des pauvres, des analphabètes, des chômeurs,  etc.
-          La moyenne d’âge du congolais est de 45 ans pour les hommes et 50 ans pour les femmes !
-          Les infrastructures routières sont inexistantes ou en mauvais état, un fait qui rend difficiles la communication ainsi que les échanges commerciaux entre les congolais.
-          S’agissant de Beni-Lubero, les analystes relèvent un plan d’un quadruple anéantissement de Beni-Lubero au point de vue économique, démographique, politique, et social par une coalition internationale utilisant dans l’ombre  les élus du peuple et l’appareil de l’Etat Congolais pour satisfaire leurs intérêts machiavéliques. (On dit souvent que le malheur de la R.D.Congo provient du fait qu’elle est devenue un Etat avant d’être une nation).


Vie ecclésiale de la R.D.Congo :

-          1 catholique africain sur 5 est un congolais de la R.D.Congo qui compte 47 diocèses.
-          Les petits et Grands Séminaires sont pleins des candidats au sacerdoce. Le nombre d’ordinations sacerdotales par an et par diocèse est très impressionnant.  Les Noviciats et autres maisons de formation pour religieux sont pleins des frères et des sœurs au point que le supérieur  général a.a.  Gervais Quenard avait, au bout d’une visite canonique au Congo, parlé d’un « miracle des vocations noires ». Une moisson abondante des vocations dans un océan de misère !
-          Le dimanche, les églises sont pleines à craquer, avec des liturgies somptueuses qui préparent  les fidèles  plus à  la vie bienheureuse de l’au-delà qu’à une vie heureuse sur cette terre.  
-          La quantité des messes célébrées, la fréquence et le nombre des sacrements administrés, le nombre des prières pour chaque circonstance de la vie, sont très impressionnant au point que certains observateurs (John Mbiti) ont qualifié le congolais (et l’africain en général)  comme foncièrement religieux.
-          L’épiscopat congolais recommande la neutralité  des membres ordonnés de l’Eglise en matière politique ou de choix politique laissant ainsi la carrière politique aux laïcs.  Vu le manque de formation et de préparation adéquates des laïcs congolais à des carrières politiques à même de transformer le Congo en faillite en un Congo debout, sachant que l’Eglise Catholique est la seule institution congolaise viable qui forme et spécialise ses membres dans tous les domaines de la vie, y compris la politique, peut-on inventer pour les prêtres et les laïcs  congolais un type d’apostolat sociopolitique à même de transformer une R.D.Congo en faillite en une R.D. Congo prospère ?    

D’où la question : Quel type d’apostolat assomptionniste dans ce contexte caractérisé par un fossé entre la vie sociopolitique et la vie ecclésiale ?

 Piste évangélique : Un apostolat assomptionniste de Bon Samaritain

La parabole du Bon Samaritain (Luc 10, 29-37) : Jésus nous demande en tant que ses disciples assomptionnistes d’être des Bons Samaritains, c’est-à-dire, les prochains des victimes de la violence, du banditisme, etc.

La Parabole du Bon Samaritain reproche à ceux qui nous ressemblent, à savoir, les prêtres et les lévites, d’être indifférents aux souffrances des victimes pour des motifs de ministère de la religion, des motifs de piété, de pureté, de noblesse, de manque de temps, de peur d’être impliquer dans une recherche longue et onéreuse de la solution au problème de la victime.
Le Samaritain s’est montré disciple du Christ à cause de sa pitié, de sa compassion, de son engagement sans limites en faveur de la victime.
Qu’en est-il de moi, religieux ou prêtre assomptionniste du Nord-Kivu, une province qui ressemble aux routes de Jéricho et où les victimes de la violence politique se comptent par millions ? Ne suis-je pas comme le prêtre et le lévite qui passèrent outre la victime par respect du prescrit canonique de leur ministère?  

L’au-revoir du Christ à ses disciples (Mt 28,19-20) peut nous donner une certaine consolation, un sentiment de faire dans notre apostolat paroissial ce que Jésus  nous a dit de faire, à savoir, aller dans le monde entier, baptiser les gens au Nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. Mais, d après Jésus, aller baptiser les gens à travers le monde ne suffirait pas si nous n’apprenons pas à ceux que nous baptisons, à faire, à observer, à obéir à tout ce que Jésus a prescrit et commandé à ses disciples, à savoir, aimer son prochain comme soi-même jusqu'à donner sa vie pour lui, être le prochain des victimes, nourrir les affamés, vêtir les Nus, secourir et prendre soins des malades et des prisonniers, aller vers les exclus de la société et les ramener au sein de la communauté des croyants, donner à boire aux assoiffés,  accueillir les étrangers (Mt 25, 35-44), etc.
Comme Assomptionnistes vivant en communauté apostolique, sommes-nous collectivement proches des victimes de notre paroisse, diocèse, territoire, province, pays ?
Notre apostolat va-t-il au-delà de l’administration des sacrements, la célébration des messes, les réunions pastorales pour intégrer les questions sociopolitiques, le combat de notre peuple pour la vie, la sécurité, la santé, ainsi que tout ce qui fait un vrai  disciple de Jésus? 

Quand nous faisons l’apostolat des messes, rappelons-nous du Chant (Chants Notés, Tome 3) que nous chantons souvent : « Une messe commence quand un monde se construit, notre vie est la semence d’une Eglise qui fleurit ! » : En quoi notre apostolat des messes que nous célébrons est-il  la semence d’une église qui fleurit, d’une R.D. Congo qui se reconstruit?

Dans Luc 9, 13 : Quand Jésus demande à ses disciples de nourrir une foule de cinq mille hommes, la première réaction des disciples est de renvoyer la foule car ils n’avaient que cinq pains et deux poissons. Mais Jésus leur dit « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». A nous qui brandissons notre pauvreté des moyens comme excuse de ne pas répondre aux appels des affamés de notre société congolaise,  Jésus dit ce qu’il avait dit à ses disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger».


La Règle de Vie de l’Assomption pose quelques jalons de la résolution du contraste congolais entre la vie sociale et la vie ecclésiale

En effet, la Règle de vie de l’Assomption invite les assomptionnistes engagés pour l’avènement de l’ART dans notre monde à faire preuve d’audace, d’initiative ; à vérifier régulièrement la qualité de notre service apostolique, et à étudier les choix et les adaptations nécessaires de notre apostolat :
-          La Règle de Vie n®4 : « L’Esprit du Fondateur nous pousse à faire nôtres les grandes causes de Dieu et de l’homme, à nous porter là où Dieu est menacé dans l’homme, et l’homme menacé comme image de Dieu », que « nous avons à faire preuve d’audace, d’initiative et de désintéressement, dans la fidélité à l’enseignement  et aux orientations de  l’Eglise.» 
-           Le n® 18 de notre Règle de Vie nous décrit les  traditionnelles formes de notre apostolat d’enseignants (études, moyens de communication sociale, pèlerinages, œcuménisme, ministère paroissial, œuvres sociales, laïcs, jeunes Eglises) et nous invite à nous rendre sans cesse « disponibles et capables d’invention ».
-           Au numéro 21, la Règle de Vie nous invite à vérifier « régulièrement la qualité de notre service apostolique » et à étudier « les choix et les adaptations nécessaires ».
D’où les questions suivantes que, comme prêtres assomptionnistes, nous devrions nous poser : 
-          Quel type d’apostolat et de prêtre assomptionniste avons-nous ou devrions-nous formés pour les déplacés, les refugiés,  les blessés de guerre, les familles des disparus, les veuves et les orphelins, les affamés, les mal nourris, les malades, les prisonniers d’opinion ?
-          Quel type d’apostolat devrions-nous avoir pendant la période électorale ou de campagne électorale pour aider à faire élire des personnes qu’il faut  à la place qu’il faut afin de changer la face de la R.D.Congo ?
-          Partant de notre Règle de Vie, faisons-nous preuve d’audace, d’initiative dans notre apostolat afin de relever le défi de la famine, de la malnutrition, de la pauvreté, des tueries, enlèvements, etc., en R.D.Congo ? Sommes-nous sans cesse disponibles et capables d’invention pour adapter notre apostolat à la situation catastrophique de notre pays et répondre aux multiples défis que cela comporte ?
-           Fidèles à notre Règle de vie n® 5, qui nous rappelle que « nos communautés sont au service de la vérité, de l’unité et de la charité »,  quel type d’apostolat dans un contexte dominé par le mensonge et l’instrumentalisation des faux conflits entre les individus et les ethnies ?
-          Notre apostolat vise-t-il à mettre fin à la guerre et aux massacres des populations civiles ? N’avons-nous pas tendance de nous dérober à cette tâche qui parait difficile en la laissant aux politiciens dont nous connaissons pourtant l’insouciance et la loyauté au service des intérêts étrangers ?
-          Quels sont nos projets et initiatives apostoliques pour répondre aux besoins apostoliques des déplacés, des refugiés, des blessés de guerre, des affamés, des familles des disparus, etc.?
-          comment formons-nous les jeunes assomptionnistes (postulants, novices, philosophes, théologiens, les laïcs de nos oeuvres à répondre efficacement aux besoins des victimes de la guerre et au défi de la transformation sociopolitique de notre pays ?
-          Combien d’assises ou sessions axées spécifiquement sur la vérification, l’évaluation de notre service  apostolique avons-nous organisés pour dégager ensemble les adaptations nécessaires?
-          Quel geste prophétique pouvons-nous poser comme province assomptionniste pour montrer notre engagement pour la résolution du conflit congolais et notre solidarité avec les victimes du même conflit ?
-          Comment vivre la foi chrétienne et confesser la foi en Jésus-Christ libérateur des opprimés, des affamés,  dans un pays envoi de devenir un empire des pauvres et des affamés ?




2 Pistes de solution au contraste congolais par les théologiens africains Jean-Marc Ela (camerounais), Emmanuel Katongole (ougandais), Tinyiko S. Maluleke (Sud-Africain)

a.       Jean-Marc Ela (Camerounais), à travers toute son œuvre, propose de repenser la foi chrétienne pour y insérer la prise en charge par l’Eglise de la vie sociale et matérielle de l’africain. Ainsi, par exemple,  apprendre à nos fidèles de brousse des techniques agricoles pour produire plus et à creuser des latrines pour l’amélioration de leur santé est aussi important voire spirituel qu’à leur apprendre à réciter le chapelet de la miséricorde divine.
En partant de l’histoire de l’Afrique marquée par la colonisation, l’exploitation par des grandes puissances et des multinationales, Jean-Marc Ela propose la recherche d’une autre histoire, d’une autre société, d’une autre humanité, d’un autre système de production,  d’un autre style de vie commune, d’un autre type d’éducation et de formation, d’un autre type d’apostolat, etc,  où la place de l’africain et toute sa vie matérielle occupent une place prépondérante.  La recherche d’une histoire africaine alternative à l’actuelle doit avoir lieu dans la vie de l’Eglise elle-même. Autrement dit, l’Eglise doit  être le locus du changement voulu. L’Eglise doit être l’histoire alternative voulue. Ceci implique un abandon de ce que ELA appelle « un christianisme constantinien moribond » qui au nom d’une fausse universalité a déjà réduit les églises d’Afrique à des « simples décombres institutionnels et canoniques » caractérisés par des formes de piété et des dévotions sans rapport avec la vie réelle actuelle, l’apoliticisme des missionnaires occidentaux, une spiritualité désincarnée et orientée vers le salut des âmes et non de la personne intégrale, une spiritualité  de distribution de visas pour l’éternité,  etc.  Pour Ela, dans un continent marqué par la domination, la famine, l’exploitation... on ne peut pas confiner le christianisme à une religion, une spiritualité de l’au-delà, et l’Eglise à une agence des soins pastoraux, une province administrative de Rome,  une mimique du christianisme occidental du Moyen-âge. L’Eglise africaine doit être une Eglise authentique, créatrice de valeurs africaines authentiquement chrétiennes. La mimique de l’Eglise du Moyen-âge fait que, selon ELA, même ce qu’on appelle « jeunes églises » africaines sont nées avec des « symptômes d’une sénilité précoce ». Pour Ela, si les Eglises africaines n’arrivent pas à inventer des nouveaux styles de présence dans le monde et d’activités différentes de ceux de l’Eglise occidentale marquée par l’apoliticisme et la spiritualité anti-matérielle, le christianisme africain deviendra le lieu d’une aliénation quotidienne[3].  
Cette perspective d’ELA est partagée par Baba Simon, le missionnaire sans souliers du Cameroun : « Le temps est arrivé de réinventer le christianisme que nous pouvons vivre avec une âme africaine »
L’Eglise d’Afrique doit inventer sa propre voix apostolique et prophétique pour ne pas devenir étranger à la réalité du continent. Cette invention est possible au prix d’une révision de son langage, de ses institutions pour en faire des nouvelles capables d’assumer le combat africain pour le changement.
b.      Tinyiko S. Maluleke et Emmanuel Katongole distinguent trois types d’Eglises que missionnaires, pasteurs, ministres de l’Eglise, et théologiens bâtissent à travers le monde et dont un seul type est capable d’aider l’Afrique à assumer le combat africain pour le changement.
1® Les pasteurs de l’Eglise Pieuse, celle de Simon de Cyrène (Marc 15 :22 ; Mt 27, 32 ;  Luc 23, 26).
Perquisitionné ou voyant Jésus souffrir sous le poids de sa Croix, Simon de Cyrène accepte la demande de l’Etat juif de porter la croix de Jésus sans se poser une seule question, telle pourquoi Jésus était condamné, où s’il y avait motif de condamnation, et sans savoir à quoi son aide aboutirait. A la fin du chemin de Croix, en dépit de l’aide de Simon de Cyrène, Jésus est exécuté. L’Eglise pieuse  de Simon de Cyrène se limite ainsi aux gestes de piété et de bonne morale selon laquelle il est bon d’aider celui qui souffre, lui donner à manger, prier pour lui, le réconforter par des paroles pieuses que tout ira bien, le recommander à la volonté de Dieu sans chercher à le libérer de sa peine, le tirer de sa situation malaisée.
Ce qui manque aux prêtres de l’Eglise pieuse de Simon de Cyrène c’est l’attaque des causes du mal, l’éradication de la racine du mal pour donner à la victime une paix durable.
I.e. Nos visites aux prisonniers de Kakwangura laissent intact l’injuste système judiciaire congolais et les causes des infractions ou délits commis par les pensionnaires de Kakwangura. On se console d’avoir posé un geste louable même si le prisonnier bénéficiaire de ce geste va mourir demain de manque de soins de santé.

2® Les pasteurs de l’Eglise pastorale, celle de Joseph d’Arimathée (Marc 15,43 ; Mt 27, 57 ; Luc 23, 50-53)

Joseph d’Arimathée se montre compatissant envers un Jésus déjà mort. Pendant que Jésus était vivant, Joseph, un noble membre du Grand Conseil Juif, n’avait jamais voulu interrogé le système judiciaire de Pilate ni initier une démarche pour le changer.  Après la condamnation de Jésus par les autorités religieuses juives et son exécution par le gouvernement juif, Joseph apparait sur scène pour enterrer dignement Jésus, le condamné.
La limite de cette église pastorale est celle de s’occuper des gens après leur mort. C’est aussi celle qui se veut servante des pauvres sans chercher comment éradiquer les systèmes créant la  pauvreté.
Exemples :
a.       Les deuils des malades qui meurent faute d’argent pour se faire soigner ont des entrées de loin supérieures à la somme qu’il aurait fallu pour que les malades morts recouvrent leur santé.
b.      La pratique actuelle du « Silwa mughuma » fait cotiser des milliers des Francs Congolais pour le deuil d’un mort qui ne demandait qu’un peu d’argent pour sauver sa vie. Y aura-t-il un jour le « silwa mughuma » pour les soins de santé des vivants ?
c.       Dans notre province, on a l’habitude de payer le cercueil pour un parent d’un religieux. Ne serait-il pas mieux de contribuer aux soins de santé des parents des religieux pendant qu’ils sont encore en vie pour ne pas tomber dans le travers de Joseph d’Arimathée.
d.      Les casques bleus de l’ONU à Beni choquent les parents des victimes des massacres quand ils se complaisent d’acheter des cercueils et de creuser les tombes des victimes au lieu d’utiliser les gros moyens à leur disposition pour traquer les tueurs jusque dans leur dernier retranchement afin de mettre fin aux massacres des populations civiles.
3® Les pasteurs de l’Eglise Prophétique, celle de Marie de Béthanie (jean 12, 1-8).
Marie de Béthanie est cette femme de l’Evangile qui brisa toutes les règles de bonne convenance, dépensa beaucoup d’argent pour acheter un parfum à Jésus, et qui, sans honte, essuya publiquement les pieds de Jésus avec ses cheveux. Curieusement, Jésus le Saint homme et l’envoyé de Dieu, ne la rabroue pas. Au contraire, Jésus rabroue Judas Iscariote qui veut laisser croire qu’il aime les pauvres, que l’argent du parfum aurait servi les pauvres. Jésus sait que l’amour des pauvres n’est que sur les lèvres de Judas Iscariote. Avec son parfum, Marie de Béthanie, préfigure l’Eglise du futur où les femmes auront un rôle à jouer, une église matérielle différente de l’Eglise pieuse de Simon de Cyrène et de l’Eglise pastorale de Joseph d’Arimathée. L’Eglise de Marie de Béthanie s’occupe des vivants, elle honore les vivants, parfument les vivants, dépensent pour les vivants, une église qui agit selon la nécessité du moment sans aucune crainte de que dira-t-on. C’est l’Eglise prophétique dont l’Afrique a besoin, une église des prêtres, des ministres, et des fidèles qui inventent des réponses adéquates aux problèmes de l’heure. C’est l’Eglise qui surprend par son imagination, sa spontanéité et qui n’a que faire des convenances des systèmes, des traditions rigides sans état d’âme, des principes dits universels de droit canon... tout cela pour le salut de l’homme vivant. C’est l’Eglise qui rejoint Jésus pour qui le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. Jésus peut ainsi guérir un malade le jour de sabbat au grand étonnement de l’establishment juif.
L’Assomption africaine peut se féliciter du fait que, si l’on en croit le nombre des religieux, le centre de gravité de la Congrégation soit passé de l’Europe à l’Afrique (il en est de même pour le christianisme). Mais quel genre d’assomptionniste formons-nous en Afrique ?  Les a.a. congolais sont-ils capables d’assumer le combat pour le changement voulu aujourd’hui en R.D.Congo ? Sommes-nous entrain de former des philosophes, des théologiens capables d’assumer le combat contre les massacres des populations civiles orchestrés par des milices au service des lobbies maffieuses internationales ? Les a.a congolais (ou africains) sont-ils prêts à inventer des voies et moyens pour sortir la R.D.Congo du traquenard de la pauvreté, de la famine, de la domination par l’Occident sur tous les plans ? 
 
Points d’Attention pour nos œuvres apostoliques
-          Paroisses :
a.       Coup de chapeau pour l’implication bénévole de plusieurs mouvements dans les célébrations  liturgiques, les cérémonies de fundraising pour divers besoins de la paroisse (constructions, Caritas, équipement de sonorisation, uniformes, etc.) chacun avec un rôle bien précis. Question : Ne peut-on faire une même mobilisation des fidèles  pour la défense des droits fondamentaux des paroissiens, la sécurité des paroissiens, la participation active des paroisses aux mouvements de masse demandant un changement dans un domaine de la vie commune, l’assainissement du quartier, la création d’une caisse d’épargne ou d’une petite compagnie de transport, l’appui et la signature d’un contrat avec un candidat politique originaire de la Paroisse ?
b.      L’information sur la situation sociopolitique du Diocèse et du Pays : Radio, Télévision, Journaux, Conférences débat pour les paroissiens sur des sujets d’actualité sociopolitique, etc. en alternance avec les conférences sur la sorcellerie, l’envoutement, les dons de l’esprit, etc. Ceci demande que le prêtre assomptionniste en paroisse applique la demande de Karl Barth pour tout pasteur et tout théologien : Lire la Bible et le Journal du Matin avec la même  attention et régularité.
c.       Eviter la dichotomie classique entre un clergé ayant en charge la responsabilité de l’Eglise et le laïcat responsable des affaires du monde.
d.      Nous faire aider par les théologiens de la libération : Gustavo Gutierrez (Implication social de l’Evangile), Leonardo Boff (adaptation des structures de l’Eglise aux besoins apostoliques du moment,  usage de la méthodologie de la Libération qui cherche à résoudre le mal à partir de ses racines, de ses causes profondes.
e.      Intégrer dans nos prédications une interprétation sociale de l’Evangile, des paraboles (Grain de Moutarde),... On raconte que victimes de la terreur du Caoutchouc rouge au Kasai demandaient souvent à un missionnaire anglais : « Has the savior you tell us of any power to save us from the rubber trouble?[4] (le sauveur dont tu nous parles, peut-il nous sauver de la terreur du Caoutchouc Rouge ?).

-          Ecoles Secondaires, Maisons de formation, et Universités :
a.       Nos écoles devraient prendre le devant des reformes des programmes des cours pour y inclure plus des sciences sociales et des techniques à même de favoriser l’auto-prise en charge du congolais.
b.      Le théologien latino-américain Paulo Freire dans son livre « la pédagogie de l’opprimé », développe le pouvoir libérateur de l’éducation adaptée à la situation. Les américains  appellent l’éducation comme le « best equalizer » (la solution aux inégalités sociales, l’outil de prise de conscience de l’opprimé de ce qui le maintient captif et le moteur de sa libération). 
c.       Programmes des cours qui préparent les assomptionnistes pour des missions spécifiques (langues, lieux d’étude, sciences sociales =Sociologie, Histoire, etc.). Collaboration entre la Commission de Formation et les Maisons des Formations, le Conseil Provincial qui nomme les religieux aux études et pour la mission).
d.      Inspiration du Cardinal Lavigerie  qui avait instauré un service militaire pour les étudiants des Pères Blancs afin de les aider à apprendre la discipline et l’austérité personnelle, à être des véritables soldats du Christ à l’instar des Croisades... Lavigerie avait aussi crée en l’époque du kidnapping des esclaves une Ecole de Médecine  pour les esclaves rachetés  pour en faire des Médecins-catéchistes (ayant constaté qu’en Afrique Religion et Santé étaient étroitement liées) et comme moyen de sauver l’Afrique par l’africain (Stratégie commune avec Daniel Comboni : « Saving Africa with Africa. »[5].)
e.       Créer un espace public où les congolais se rencontrent pour échanger les idées concernant la situation sociopolitique du moment afin d’arriver à des décisions, à l’instar de l’aréopage d’Aristote, town meetings de la Nouvelle Angleterre,  Coffee Houses d’Angleterre.... L’objectif étant de susciter l’intérêt de tous pour les affaires publiques et stimuler une action concertée, la participation de chacun, etc. 
-          
Radio Moto
a.  Devenir un espace public d’information vraie et objective,
b.  Plus de programmes adaptés à la situation sociopolitique et orientés vers l’auto-prise en charge pour la renaissance de la R.D.Congo.

Conclusion
-          L’apostolat de l’Assomptionniste congolais est à repenser et à redéfinir ensemble et en communauté apostolique  à la lumière du contexte historique et sociopolitique actuel de la R.D. Congo (et de l’Afrique en général). Les types d’Eglises esquissés ci-haut peuvent nous donner des éléments  pour définir un apostolat adapté à notre situation actuelle de guerre nous imposée par des grandes puissances, des lobbies financières multinationales, avec une complicité de nos dirigeants au plus haut sommet de la vie politique nationale. 
-          Le type d’assomptionniste pour un Congo en faillite est le Père d’Alzon lui-même qui fut un homme de son temps, un homme d’Eglise, un inventeur des nouvelles formes d’apostolat. L’Evangile, La Règle de vie de l’assomption nous donnent plusieurs caractéristiques de l’assomptionniste qu’il faut pour un Congo en faillite. Ce qui nous reste, c’est de les vivre individuellement et collectivement, accepter que personne d’autre que nous-mêmes ne fera advenir le Règne de Dieu  en nous, autour de nous, et dans notre Congo en faillite.
Se convaincre que nous sommes ceux qui sont attendus par nos concitoyens pour  l’avènement de l’ART dans nos divers lieux d’insertion apostolique, pour l’avènement de la démocratie populaire, pour la fin des conflits armés instrumentalisés de l’extérieur, pour la paix pour tous en R.D.Congo.


Père Vincent Machozi, a.a.




[1]  « Fidèles à Emmanuel d’Alzon… pour l’Avènement du Royaume” : Actes du Chapitre Général des Augustins de l’Assomption, Rome, 2-23 mai 2011, Ss 57, p.16.
[2] Jesse Mugambi, From Liberation to Reconstruction, p.33.
[3] Cfr. Emmanuel Katongole, A future for Africa, Critical essays in Christian social imagination, Scranton: The university of Scranton presss, 2005, pp 172-175.
[4]  Adam Hochschild, King Leopold’s Ghost, A story of great terror and heroism in colonial Africa, p. 172.
[5] Aylward Shorter, Cross and Flag in Africa, The White Fathers  during the colonial scramble (1892-1914), Orbis Books, Maryknoll, New York, 2006, pp117-126.

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  1. Bonjour. Je suis en train de rédiger un travail sur le père Vincent Machozi, en mettant en avant sa lutte contre le génocide du peuple Yira(Bandé). Je consulte depuis ce site, je me sens beaucoup aidé. Cependant, je voudrais avoir le contact du directeur du site pour des échanges convidents y relatifs. Cordialement merci.

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